Coalition Climat Montréal fait la promotion de la neutralité carbone pour Montréal d’ici 2042 (date du 400ème anniversaire de la Ville de Montréal), auprès des élus municipaux, des entreprises, des organisations et des citoyens. La Coalition base ses actions sur quatre piliers: budget carbone, inventaire des émissions de GES, test climat, participation citoyenne. Blandine Sebileau s’est entretenue avec son président Jean-François Boisvert pour parler de la participation de la Coalition au Projet de Résilience Verte, et du dialogue organisé le 2 février dernier avec la communauté du Grand Montréal.
The Montreal Climate Coalition promotes carbon neutrality for Montreal by 2042 (the City’s 400th anniversary) in partnership with elected municipal officials, businesses, organizations and citizens. The Coalition bases its work on four pillars: carbon budgeting, GHG emissions inventories, climate testing and citizen engagement. Blandine Sebileau met with the Coalition’s president Jean-François Boisvert to talk about their participation in the Green Resilience Project, and the conversation which took place on February 2 with the community of Greater Montreal.
Blandine Sebileau: Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet?
Jean-François Boisvert: C’est l’aspect résilience qui nous a principalement attirés. Les changements climatiques sont en marche et je pense qu’on risque fort de dépasser les cibles idéales. D’ici 40 ou 50 ans, on pourrait voir un réchauffement de 4 degrés à Montréal. On voit déjà les effets des changements climatiques : les feux de forêt, les sécheresses et les canicules, l’approvisionnement alimentaire, les inondations. Il faut s’attaquer avec beaucoup plus de moyens et d’énergie aux questions de résilience.
BS: C’est une thématique sur laquelle vous travaillez déjà à la Coalition?
JFB: Jusqu’à présent, on l’avait moins abordée. On en parlait, mais notre but initial, c’est d’abord d’atteindre la carboneutralité. Ce qu’on s’est efforcé de faire au cours des dernières années, c’est de mettre en relation les organismes, de travailler avec les élus pour les inciter à fixer des cibles plus ambitieuses et agir plus rapidement. Mais agir sur la résilience est un objectif à part. C’est une réflexion que nous allons avoir.
Comment s’est déroulé votre dialogue?
JFB: Il y a eu de bons échanges, et de nombreux liens ont été faits avec la pandémie. Cette crise a marqué les gens, on est en mesure de mieux parler de résilience aujourd’hui qu’il y a deux ans.
Les gens ont-ils compris les liens entre changements climatiques, sécurité du revenu et résilience ?
JFB: Oui, cela a été bien compris. Les gens voient déjà des impacts, et savent que ces impacts vont s’aggraver dans le futur. On a été touché ces dernières années par les feux de forêt, les vagues de chaleur. Non loin de Montréal, il y a eu des inondations. Autour, il y a eu des ouragans, des tornades qui ont détruit des maisons. Les gens s’inquiètent aussi beaucoup de la hausse du prix des aliments, qui a commencé pendant la pandémie. Il y a eu des sécheresses historiques en Californie et dans l’Ouest américain. Même au Canada, la récolte de blé a baissé de 33% l’an passé. Cela va avoir des impacts non seulement sur les prix, mais aussi sur la disponibilité des aliments, ce qui inquiète les gens.
Ce qui est ressorti aussi, c’est que tout le monde n’est pas égal face à ces impacts. Si le prix des aliments augmente, ce sont les personnes à faible revenu qui en souffrent le plus. À Montréal, il y a aussi des quartiers plus minéralisés, sans parcs, sans arbres, et qui souffrent davantage de la chaleur. Les immeubles sont souvent mal isolés et les gens n’ont pas les moyens d’avoir des climatiseurs, de se payer des vacances, de sortir de la ville quand il quand il fait très chaud. Ces gens-là souffrent plus que ceux qui ont des revenus plus élevés. Pour faire face aux conséquences des changements climatiques, pour accroître notre résilience, pour qu’il y ait plus de justice au niveau des impacts, il faudrait réduire ces inégalités. Cela demande des changements en profondeur.
Le fait de savoir que tous ces problèmes se manifestent crée de l’anxiété chez bien des gens, et de la détresse psychologique. Les jeunes qui sont préoccupés par les changements climatiques souffrent d’éco-anxiété. Ces problèmes ont beaucoup été mentionnés pendant le dialogue.
BS: Le thème de l’éco-anxiété a été très présent dans une autre conversation avec des artistes québécois et canadiens. Les artistes sont particulièrement vulnérables parce que beaucoup sont déjà en situation de précarité, et que la pandémie a exacerbé cette précarité.
JFB: La pandémie peut être perçue comme une répétition ou un avant-goût, parce qu’effectivement, certains ont perdu leur emploi ou leur entreprise, comme les petits commerçants, les petits restaurateurs, les petits cafés. Sophie Prégent, la présidente de l’Union des artistes, a dit en effet que beaucoup d’artistes avaient dû vider leur RÉER parce qu’ils n’avaient plus d’argent. Ils se retrouvent aujourd’hui avec des problèmes financiers, même les plus jeunes. À l’inverse, les personnes qui avaient des types d’emploi qui leur permettaient d’être en télétravail chez eux, ont subi moins d’impacts financiers. Cela donne une idée de ce qui va advenir avec les changements climatiques.
BS: Quels éléments vous ont le plus étonné dans les discussions?
JFB: Une étudiante a évoqué l’attitude des jeunes face aux changements climatiques. Selon elle, de nombreux jeunes savent qu’il y a des changements climatiques, mais ils ne semblent pas s’en préoccuper pour autant. Ils considèrent que ce n’est pas à eux d’agir, peut-être par résignation. Ça m’a un peu ébranlé, car ce sont ces jeunes qui vont subir le plus les conséquences des changements climatiques, et qui devraient être le plus préoccupés. Eux seront encore là quand le pire va venir. Est-ce du découragement? Je ne sais pas. Ça peut être lié aussi au manque d’information. D’après les étudiants, c’est abordé dans les cours, mais pas en profondeur.
BS: L’éducation est un sujet fondamental pour sensibiliser les citoyens aux changements climatiques. Je suis moi aussi souvent surprise du manque d’information chez les jeunes, et plus généralement au sein de la population.
JFB: Quand j’ai commencé, je parlais souvent à des gens peu avertis de ces questions. Souvent, on disait : “ça n’est pas grave, c’est pour plus tard, et quand ça va arriver, ils vont trouver quelque chose.” C’est possible. Mais qui va trouver ce ‘’quelque chose,’’ et quoi? Les gens ne réalisent pas l’ampleur des forces physiques impliquées dans le climat. Le changement climatique est comme un tsunami : c’est une chose d’avoir des ingénieurs, mais on ne peut pas arrêter une vague de tsunami en construisant une digue. Je pense qu’on vit dans une espèce de déni et dans l’illusion qu’on va trouver des solutions. Certains disent que si on regarde l’histoire de l’humanité, on a toujours trouvé des solutions, mais ça n’est pas vrai. Il y a des exemples qui montrent le contraire.
BS: À en croire certains, la technologie va nous sauver : nos technologies seront plus efficaces, on va trouver d’autres manières de fabriquer de l’énergie, et l’énergie fossile sera plus ‘’propre’’.
JFB: Ça ne suffit pas. L’hydrogène est un exemple. On entend dire que c’est une énergie propre. Le gouvernement veut se lancer là-dedans mais pour produire de l’hydrogène, il faut déjà une source d’énergie! On est dans le wishful thinking.
BS: Est-ce que vous en avez tiré de nouvelles pistes de solution pour aider votre communauté?
JFB: Comme je l’ai évoqué, il y a un besoin d’information, d’éducation et de formation auprès des jeunes, dans les écoles, mais aussi dans la population en général. Il faut informer davantage les gens, les mobiliser pour qu’ils agissent ou poussent la société à agir. L’aspect de la communauté est aussi ressorti au cours de notre dialogue, avec l’importance de renforcer les liens et de trouver des solutions locales. Certains participants ont beaucoup mentionné les solutions individuelles et communautaires, alors que d’autres pensent qu’il faut des transformations beaucoup plus radicales de l’économie, et changer de système économique comme tel.
On a parlé beaucoup du besoin de moins consommer. Présentement, on est dans un système économique qui encourage à consommer à outrance, ce qui a un impact sur les ressources, mais surtout sur la consommation d’énergie. Certains ont donc évoqué la décroissance pour aboutir à un système économique qui respecte les limites de la planète.
Il a été mentionné aussi qu’il fallait mieux répartir la richesse. Donner plus aux pauvres, mais aussi donner moins aux plus riches. Durant la pandémie, la fortune des plus riches a triplé. Des compagnies ont fait énormément d’argent. Donc d’un côté, les gens les plus marginalisés et défavorisés ont subi plus durement les conséquences de la pandémie, et d’un autre côté, les gens les mieux outillés pour résister en ressortent encore plus favorisés. L’écart entre l’extrême richesse et l’extrême pauvreté se creuse de plus en plus.
La proposition d’un revenu de base garanti a été accueillie plutôt favorablement, mais en général, les participants jugent que c’est insuffisant. Pour beaucoup, une transformation plus profonde de l’économie est nécessaire pour faire en sorte qu’il y ait structurellement moins d’inégalités et une meilleure répartition des richesses. Il faut régler le problème à la base. Certains s’interrogent aussi sur les modalités d’implantation et de financement du revenu de base.
BS: Voyez-vous d’autres barrières ou freins à ces solutions dans la communauté?
JFB: Le manque d’intérêt ou le manque de préoccupation de la population est un frein majeur. Les gens n’ont pas encore pleinement conscience de l’urgence climatique, de la nécessité d’agir et d’entreprendre des changements majeurs. Le plus grand obstacle, selon moi, c’est aussi l’inertie du système actuel. C’est très difficile de changer ça. Au Québec par exemple, le transport est la source majeure d’émissions. Dans les centres urbains, il y a le métro, mais dans les banlieues qui ont été bâties dans les dernières décennies, tout est conçu en fonction de l’auto. Les magasins sont loin et le travail est loin. Pour changer ça, il y a une inertie immense. Que dire à ceux qui prennent leur auto? Ils n’ont pas d’autre choix pour aller travailler.
D’autre part, si on freine l’expansion des villes, si on arrête de construire de nouvelles infrastructures, il y aura un impact sur l’économie. Le système dans lequel on vit nous a permis d’avoir un niveau de vie incomparable dans l’histoire de l’humanité. Est-on prêt à céder là-dessus? C’est une autre question. On n’en parle jamais parce qu’on ne veut pas entendre ça.
BS: Quand on évoque la décroissance, ou la possibilité de vivre plus simplement, on se heurte souvent à un effet de caricature: ‘’On ne veut pas vivre comme au Moyen-Âge!’’ C’est comme si on n’était pas capable de voir l’entre-deux. Je pense que nous pouvons faire de meilleurs choix sur nos grands projets de société, et nous interroger moins sur les bénéfices financiers mais davantage sur les progrès sociaux de ces grands projets.
JFB: Dans les années 50 ans, ici au Canada, on a atteint un niveau de bien-être matériel suffisant pour répondre à nos besoins. Tout ce qui s’ajoute ne nous rend pas nécessairement plus heureux, mais aggrave au contraire la dégradation environnementale.
Au Québec, il y a une base citoyenne très mobilisée contre les grands projets fossiles, ce qui est encourageant. On l’a vu avec des projets comme GNL, Énergie Est, et aussi avec le projet d’interdire les forages dans la province. C’est parce que les groupes citoyens ont milité depuis des années que cela est possible. Cela donne l’espoir de continuer.
BS: Quels sont les acteurs de la résilience au sein de votre communauté?
JFB: À Montréal, ils sont nombreux : des ONG, des groupes citoyens, impliqués de près ou de loin sur ces sujets. La Ville de Montréal a maintenant un Bureau de la transition écologique et résilience, le BTER. On voit que c’est une vraie préoccupation pour eux. Dans les universités, beaucoup de chercheurs s’intéressent à ça. Il faut les mobiliser davantage, les mettre en relation. Nous avons la chance d’avoir à Montréal une administration qui est assez progressiste, ouverte au changement. Nous travaillons avec eux pour les amener parfois à en faire plus sur certains sujets. Mais les citoyens dans les arrondissements ne sont pas toujours là, et ce sont eux parfois qui freinent le progrès.
BS: Tout le monde n’est pas prêt à changer de système ou de comportement.
JFB: Certains élus seraient prêts à aller plus vite, en effet. Moi, je pense qu’à Montréal, on est chanceux, on a un bon bassin de gens et de groupes qui peuvent travailler à ça, mais il faut passer à la vitesse supérieure. Au sein même de la Coalition, il y a une volonté de poursuivre la discussion. Les gens veulent aussi aborder d’autres thèmes que celui du revenu garanti. Nous allons probablement essayer d’établir des contacts avec d’autres acteurs locaux pour organiser d’autres évènements.